La consolidation inquiétante des distributeurs de fonds

Article extrait de l’AGEFI Hebdo du 09 Juillet 2020 par Corentin Chappron

Le secteur européen, autrefois dominé par les acteurs suisses, se concentre aujourd’hui autour de deux plates-formes de distribution, ce qui n’est pas sans inquiéter les gérants.

 

La distribution de fonds est en pleine transformation. Le marché européen, historiquement morcelé et dominé par de grands distributeurs suisses, comme UBP, voit le développement de nouveaux acteurs. « Il existe aujourd’hui moins de plates-formes qu’au début des années 2000. Nous constatons notamment une consolidation du secteur depuis 2017, avec l’émergence de nouvelles plates-formes telles qu’Allfunds et MFEX », confirme Sylvie Baijot, global head of fund distribution solutions chez BNP Paribas Securities Services. Ces plates-formes permettent aux gérants de vendre leurs fonds aux clients institutionnels, et se chargent des aspects administratifs et techniques de cette distribution.

 

« L’intérêt pour les gérants est bien sûr de limiter le nombre de points d’entrée et de faciliter la distribution des fonds, puisque le travail de ‘due diligence’ que doit normalement réaliser un investisseur est effectué par la plate-forme », détaille Jean-Pierre Grimaud, directeur général du groupe OFI.

 

Sous l’impulsion de leurs détenteurs, principalement des fonds de capital-investissement, ces deux plates-formes se taillent à coup de rachats une part de plus en plus importante du marché. Mais l’émergence d’acteurs paneuropéens n’est pas pour demain : l’absence d’harmonisation à l’échelle du continent, et des marchés nationaux parfois très fragmentés sont autant d’obstacles. Résultat, les gérants doivent passer par plusieurs distributeurs, surtout lorsqu’ils souhaitent s’étendre à l’international. « Si vous voulez être présents sur différents marchés, vous êtes obligé de travailler avec un grand nombre de plates-formes », souligne Thierry Gortzounian, chief operating officer business development à La Française. La société distribue ses fonds à l’international à travers « cinq plates-formes ».Sur certains marchés, ces nouveaux acteurs sont pourtant devenus incontournables. « Pour vendre des fonds en Espagne, il est impossible de ne pas passer par AllFunds », estime un gérant, qui juge que « 95 % » des acteurs locaux, gérants ou institutionnels, l’utilisent. Un succès que le groupe pourrait répliquer en Italie, à travers son partenariat avec BNP Paribas annoncé fin 2019 ; ou en France, où AllFunds compte ouvrir une filiale.

 

Eviter le monopole

Le corollaire à cette montée en puissance est le développement de nouveaux services payants, basés sur la gestion des données. Jean-Pierre Grimaud remarque que « [la concentration du marché] se ressent dans les services proposés par ces plates-formes, qui ne sont plus de simples centralisatrices de fonds ». Gestion du passif, collecte et analyse des données de transaction… Le secteur mise sur l’innovation, d’autant que de nombreux aspects de la distribution de fonds restent à améliorer. « Nous croyons beaucoup en la technologie pour assouplir les différents points de friction opérationnels qui subsistent encore dans les processus. Améliorer la rapidité d’exécution des ordres, par exemple », relève Sylvie Baijot, qui évoque aussi de « nouveaux besoins, comme les problématiques liées à la connaissance client ».

Du côté des gestions, cette montée en puissance inquiète. Les tarifs prélevés par les plates- formes ont subi une profonde évolution avec MIF2, et la concentration du secteur a aussi pesé sur les prix. « La consolidation à l’œuvre a certes eu un impact sur les tarifs, remarque Thierry Gortzounian. Mais le nombre d’interlocuteurs a aussi diminué, ce qui allège certaines tâches administratives. Et les services qu’offrent les plates-formes justifient jusqu’à présent les coûts, à condition toutefois que ces derniers restent raisonnables. » Le dirigeant se dit quoi qu’il en soit « préoccupé » par les mouvements de marché à l’œuvre. « Le risque, souligne-t-il, est de voir une situation de monopole ou d’oligopole dégénérer en rapport de force. »

Les sociétés de gestion sont elles démunies pour autant ?

 

« Elles peuvent négocier avec la plate- forme lorsque leurs encours sont suffisamment importants ; elles peuvent aussi, dans une certaine mesure, faire jouer la concurrence ou bien chercher à conserver le lien avec le client final, à travers par exemple le développement de plates-formes de distribution BtC comme Iznes », énumère Thierry Gortzounian.

 

Si la diminution du nombre de distributeurs est à certains égards bienvenue, les gérants veulent éviter un monopole.

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